Belle et rebelle, ma France by Nedim Gürsel

Belle et rebelle, ma France by Nedim Gürsel

Auteur:Nedim Gürsel
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: © 2011 Empreinte temps présent
Publié: 2018-01-21T16:00:00+00:00


Les couleurs de l’exil

En débarquant en Avignon, nous nous sommes retrouvés au milieu d’une nature en bleu et vert. Tout au long du chemin, nous pouvions voir les cyprès, les jachères froufroutant dans le vent et dans le lointain, les monts, enveloppés d’une brume bleutée. Descendu des sommets neigeux, le mistral, qui a prêté son nom au plus illustre poète de la région, lauréat du prix Nobel, balaie la vallée du Rhône et emporte vers la mer les nuages chargés de pluie. Il vous ôte le repos et le sommeil. Je ne sais pas si c’est vrai, mais il paraît qu’en Provence, si l’on commet un crime, le mistral est une circonstance atténuante. J’y vais, moi aussi, de ma galéjade, en dégustant un bon pastis.

Hier, tandis que nous nous promenions dans le palais des Papes, le vent a soufflé toute la journée et si nous n’avions pas été à l’abri des monuments gothiques, il nous aurait emportés comme des feuilles mortes. Mais ce matin, quand nous sommes partis en voiture, le ciel était d’un bleu profond, parfaitement limpide. Aucun nuage ne s’accrochait aux sommets des montagnes et nul aigle ne tournoyait dans le ciel. Disons plutôt, nul oiseau de proie, car la question de savoir s’il y a ou non des aigles dans la région n’a pas été tranchée. Jean Giono, dans Le Chant du monde, parle bien d’un aigle qui rejoint son aire après avoir décrit des cercles dans le ciel, mais je me méfie même de lui. La question reste de savoir si tous ces animaux domestiques et sauvages, ces myriades de bestioles au nom inconnu peuplent la nature parfois encore intacte de la Provence ou s’ils sont le produit de l’imagination de l’écrivain.

Longeant la Durance, nous cheminions vers l’est, parmi les vignes qui donnent le fameux vin de Provence. Sinan Anadol, mon ami photographe, était au volant, et j’étais assis à sa droite. En France, on appelle cette place « la place du mort ». Il faut dire que c’est la plus dangereuse en cas d’accident. Nous avions beau rouler lentement, je ne pouvais m’empêcher de penser à la mort. Je songeais sans cesse au peintre Fikret Mualla qui, après être allé d’Istanbul en Suisse, et de là à Berlin, puis à Paris, est venu finir ses jours précaires à Reillane, petit village du Lubéron, loin de son pays et de ses amis, et est mort ici, dans un asile de vieillards ; je pensais à ses fureurs, à ses terreurs voisines de la démence, à sa personnalité légendaire et à son génie créateur. Je garde en mémoire ses toiles, que j’ai vues à Paris et à Istanbul, et aussi chez des amis, avec leurs couleurs vibrantes, le vert, le jaune – un jaune évoquant le chagrin, la solitude et la mort –, le rouge et surtout le bleu. Nous avons contemplé, sur les tableaux de Cézanne, la montagne Sainte-Victoire, qui fait étroitement partie du paysage vert et bleu en harmonie avec les tons roses du sol argileux, et qui s’enracine non seulement sur la toile mais dans le sol.



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